Wonhyo (essence et histoire de l ‘origine du sonmudo) – Épisode 5 – Le retour à la vie dans le monde

1- Vivre avec les gens

Lorsque le bouddhisme fut introduit en Corée, l’accent était mis sur son côté formel et sur les cérémonies rituelles. Tous les moines observaient strictement les règles et les préceptes monastiques. Wonhyo, cependant, cherchait à se libérer de cette approche basée sur des règles s’appuyant sur des contraintes extérieures. Wonhyo ne se sentait pas tenu par ces règles monastiques que ses compagnons moines observaient rigoureusement, Il mangeait de la viande avec les brigands et buvait du vin avec les filles de rues. Beaucoup de moines et de laïcs condamnaient ses actions comme immorales. Lorsque ses compagnons moines lui conseillaient d’observer les préceptes, Wonhyo leur répondait :

« Il est difficile de déterminer si une action est bonne ou si elle devient une faute. Certaines actions apparaissent comme vertueuses, alors que l’intention qui se trouve derrière est mauvaise. Au contraire, une action peut sembler déshonorante et avoir en certains cas une intention pure et innocente. Qu’une chose soit bonne ou mauvaise dépend seulement de l’esprit.»

Les paroles et les actes de Wonhyo étaient souvent bizarres et difficiles à comprendre pour ses compagnons moines. Parfois il demeurait à l’intérieur du Temple et s’adonnait à la pratique, sans manger ni dormir. Parfois il passait la journée dans les rues, en compagnie des mendiants. Il était donc normal que Wonhyo soit critiqué par l’institution bouddhiste de l’époque, préoccupée par la fidélité aux règles, et qui jugeait qu’un moine doit à tout instant garder sa dignité. Wonhyo croyait que la lecture des sutras et la tenue de cérémonies à l’intérieur des murs du temple n’etaient pas la seule façon de mettre les enseignements de Bouddha en pratique. Vivre avec des êtres doués de sensations. dans le monde extérieur, partager leurs souffrances et leurs joies et leur transmettre directement les enseignements de Bouddha, c’était là, à son sens, la Vraie façon d’être fidèle à la volonté de Bouddha. Cependant peu de gens comprenaient son désir sincère de semer les graines du bouddhisme dans les milieux les plus bas et les moins compris de la société. Wonhyo quitta cette vie et alla visiter tous les coins du pays pour propager les enseignements du bouddhisme d’une manière qui pouvait être facilement comprise par tous. Conversant avec des personnes de rang royal, des aristocrates mais aussi avec d’humbles mendiants et des enfants difficiles. il répandait le bouddhisme au loin et au large. Grâce aux efforts de Wonhyo, tous et chacun dans le royaume de Silla en vinrent à adopter le bouddhisme. L’une des raisons expliquant ce succès populaire, était la nouvelle doctrine de la « Terre Pure ». Selon cette doctrine de la Terre Pure, les pratiquants devaient chanter « Namu Amitabul » (louanges au Bouddha Amitabha) afin de pouvoir renaître au paradis (nirvana) après la mort. C’était un enseignement simple mais plein de compassion que les gens ordinaires trouvaient attirant et facile à comprendre. Il était, en fin de compte, bien plus efficace qu’une théorie académique et absconse. Réciter le nom de Bouddha a pour effet d’apaiser l’esprit. En d’autres termes, en récitant le mantra, ou le nom de Bouddha, l’esprit se trouve purifié et recentré et maintient ainsi un état continu de tranquillité. Les enseignements du maître Wonhyo concernant la Terre Pure se répandirent très largement dans tout le peuple de Silla, et tous, les nobles comme les gens d’humble origine, se mirent à réciter le nom de Bouddha Amitabha.

2. Rencontre avec la princesse Yosok

Wonhyo enseignait que le véritable but du bouddhisme était de sauver de la souffrance les êtres vivants doués de sensations. En ce temps-là, le bouddhisme n’était connu que de l’aristocratie et des classes supérieures. Wonhyo commença à tenir des réunions de Dharma, pour des groupes de citoyens ordinaires, dans le but d’enseigner le bouddhisme au plus grand nombre possible de gens. Des gens de plus en plus nombreux se rassemblaient pour écouter les discours de Wonhyo sur le Dharma et sa réputation grandissait. Il devint bientôt très connu à traverstout le pays.
Un jour, une belle princesse assista à l’une de ces réunions de dharma, et fut fortement impressionnée par les paroles de Wonhyo. C’était la princesse Yosok, deuxième fille du roi Muyol (règne : 654-661). Elle était agréable et avait un bon caractère. Quand elle était enfant, on l’appelait Ayuta et beaucoup de hwarangs l’admiraient. Son mari était aussi un hwarang du nom de Kojin. Il mourut au cours de la guerre contre Paekche. Après avoir écouté les enseignements de Wonhyo, son esprit en fut profondément troublé.

« Bouddha a atteint l’illumination dans le but d’enlever les souffrances du peuple et de leur donner le bonheur. C’est ce qu’on appelle la compassion de Bouddha. Tel est le fondement de l’esprit de Bouddha, D’aimer de façon égale tous les humains. »


Au cours des jours qui suivirent, les paroles du maître Wonhyo restèrent dans l’esprit de la princesse. Puis elle tomba malade d’amour. Apprenant qu’elle était malade, le roi fit appeler un docteur célèbre. Mais celui-ci ne trouva pas la cause de cette maladie. Un jour la princesse confia à l’une de ses servantes :

« J’aimerais bien revoir encore le maître, ne serait-ce qu’une seule fois »
La servante réfléchit un long moment et répondit :
‘Votre Majesté, envoyez un message que vous désirez assister à la réunion du maître, et tenez l’assemblée dans le palais. »

La famille royale et l’aristocratie étaient de fervents bouddhistes et invitaient souvent dans leurs maisons des enseignants bouddhistes de renom. Wonhyo qui enseignait sans se soucier du rang social des gens, accepta volontiers l’invitation. Il alla au palais royal dans une voiture à chevaux. A son arrivée, il adressa le discours suivant :

 » Tout le monde possède la nature de Bouddha. Quiconque éveille son esprit à étudier et à pratiquer les enseignements de Bouddha, et avance sur le sentier, il ou elle est un Bodhisattva*. Pour devenir un Bodhisattva vous devez lutter pour échapper à la chaîne des illusions et partager ce que vous avez librement gagné avec tous les êtres doués de sensations. Si vous pratiquez cela de façon constante, vous atteindrez la bouddhéité « 

Comme il s’apprêtait, après la réunion, à retourner au temple de Punhwangsa, une servante s’approcha et s’adressa à lui avec un grand respect :

« Maître, la princesse aimerait vous servir un thé précieux et rare en provenance de l’étranger. »

On conduisit Wonhyo auprès de la princesse. La pièce était toute remplie du parfum du thé. La princesse le servit personnellement et il but. À la fin, la princesse ne put pas contrôler son émotion et s’écria:

 » Maitre, je n’ai pas pu tenir mes pensées loin de vous. Depuis quelque temps j’ai espéré votre présence au point de me rendre malade. Si vous ne me sauvez pas, j’en mourrai certainement. »
Wonhyo embarrassé répondit:
 » Majesté, je ne saisis pas vos paroles. Je suis un moine, et tout amour charnel m’est interdit. Je dois observer les préceptes bouddhiques. « 
« Mais, Maître, vos préceptes ne vous interdisent-ils pas de me laisser
mourir ? »

Wonhyo ferma les yeux et réfléchit un long moment, et puis parla à nouveau:

« Majesté, le Sutra Brahama Net déclare qu’ôter la vie intentionnellement est
une faute grave et que laisser quelqu’un mourir est aussi une grande faute. Si c’est là votre désir sincère, il vous faut d’abord obtenir la permission du roi. « 

Wonhyo quitta le palais rapidement, et pendant les jours qui suivirent, il pria et médita afin de trouver un moyen de sauver la vie de la princesse. Il lui vint à l’esprit que même si un moine est tenu à observer les préceptes, il peut se trouver des situations dans lesquelles il est impossible de suivre les règles à la lettre. Accepter le souhait de la princesse, pensa-t-il, afin de sauver sa vie, était une manière de pratiquer la compassion et c’était donc une faute excusable. Après quelques jours, Wonhyo s’en alla devant le palais du roi et chanta cette chanson :

« Qui me prêtera une hache qui a perdu son manche ?
Je couperai un pied de haricot qui servira de pilier dans le Ciel. »

Wonhyo répéta ces mots sans se lasser, comme un homme fou, et puis, s’en retourna au crépuscule, au temple de Punhwangsa. Pendant plusieurs jours il recommença la même scène. Il venait au palais et s’en retournait le soir. Cette étrange conduite devint un grand sujet de conversation, mais bien peu devinaient le sens véritable des paroles de ce chant. A la fin, le roi Muyol vint pour écouter. Après avoir entendu les paroles, il réfléchit à leur sens et en comprit la signification. Une hache qui a perdu son manche, c’est comme une femme qui a perdu son mari, et un pilier dans les cieux représente un héritier pour le royaume.

« Maître Wonhyo a l’intention d’épouser une princesse et de lui donner un fils plein de sagesse. »

Le roi sourit et songea à sa fille, la princesse Yosok. Il dit à ses officiels de conduire secrètement Wonhyo à la résidence de la princesse. Apprenant l’intention du roi de le trouver, Wonhyo se jeta dans les eaux d’un torrent. Les officiels le ramenèrent, les vêtements encore tout mouillés, dans le palais du roi. Un moment après apparut la princesse vêtue d’une belle robe. Elle s’approcha de Wonhyo et lui versa une coupe de vin. Il la but et la remplit à nouveau pour la princesse. C’est avec ce simple cérémonial que le mariage fut conclu. Les jours qui suivirent passèrent comme dans un rêve. Deux semaines plus tard, Wonhyo arriva au palais de la princesse. Incapable de supporter plus longtemps les scrupules de sa conscience, il prit la ferme résolution de retourner à la voie antérieure.

« Princesse, aujourd’hui, je dois vous quitter. Pratiquez, dans ce palais même, la voie de bodhisattva, comme je vous l’ai enseignée moi-même aux réunions du dharma. Recherchez la nature de Bouddha et accomplissez toutes sortes d’actions vertueuses. Ainsi vous oublierez la peine de notre séparation et deviendrez une bodhisattva. Je dois accomplir ma tâche d’enseigner à beaucoup de gens la vérité de Bouddha et les aider à atteindre l’illumination. « 

Les yeux de la princesse se remplirent de larmes.
« Vous reverrai-je un jour ? « 
« J’espère vous rencontrer à nouveau dans la Terre Pure du bonheur. »
Wonhyo s’inclina, les mains jointes dans l’attitude de la prière, puis il quitta le palais.

Quelques mois plus tard la princesse se trouva enceinte d’un enfant.
« J’ai conçu en moi l’enfant du Maître. Il m’a accordé un autre lien karmique**. » 

3. La princesse Yosok et Seol chong

La princesse Yosok donna naissance à un beau garçon nommé Seol chong qui plus tard allait devenir un érudit distingué. Son rang officiel dans le gouvernement était celui de hallim. Il occupait la place de conseiller du roi et rédigeait les décrets royaux. Il laissa à la postérité le fameux idu d’écriture qui incluait des idéogrammes spéciaux pour intégrer dans les écrits en chinois, la phonétique, la syntaxe ainsi que d’autres caractéristiques de la langue coréenne. Il est reconnu aujourd’hui comme l’un des dix plus grands sages de Silla.
Wonhyo vivait séparé de sa femme et de son fils, mais ce n’était pas avec l’intention de les abandonner qu’il les quitta. Ce n’était pas d’avantage un homme insensible ou irresponsable qui utilisait la pratique du bouddhisme comme une excuse pour éviter les obligations qu’imposent l’affection humaine et les devoirs de ce monde. On rapporte qu’il résidait souvent dans le temple Hyol, là-même où plus tard il entrera dans le nirvana. La demeure de Seol chong était, dit-on, proche de ce temple et il est vraisemblable que les trois membres de la famille de Wonhyo restèrent en contact entre eux.
Lorsque Wonhyo mourut, Solchong mêla les cendres de son père avec de la terre et en modela une petite figurine à la ressemblance de son père. Il plaça cette statue dans le temple de Pumhwangsa. Il s’y rendait régulièrement pour se recueillir avec respect, amour et tristesse. Un jour qu’il s’inclinait devant la statuette de Wonhyo, celle-ci tourna la tête vers lui. C’est là, dit-on, la raison pour laquelle la statue porte, aujourd’hui encore, la tête tournée vers le côté. Jusqu’à l’invention de l’alphabet hangul par le roi Sejong, au 15 me siècle, les Coréens utilisaient, dans leurs écrits, les caractères chinois. Seol chong s’efforça de préserver l’identité nationale de la Corée en insérant des éléments du discours propres à la langue coréenne et en les utilisant personnellement. Dans une discussion entre les trois grands personnages littéraires de Silla (Kangsu, Choi Chiwon et Seol chong), rapportée dans les Chroniques des trois royaumes, le texte fait référence à Seol chong comme celui qui « a lu les Quatre Livres et les Cinq Classiques, et qui a éduqué les générations suivantes dans notre langue originale. » L’esprit de Seol chong est resté vivant après sa mort. Il a atteint son plein développement avec l’invention de l’alphabet coréen (hangul) par le roi Sejong. Le seul exemple qui nous reste des écrits de Seol chong est le récit d’une conversation entre lui-même et le roi Sinmun, intitulé Hwawanggye (un conte moral pour le Roi Fleur)…

…a suivre -dernier épisode : empreinte de Wohnyo hier et aujourd’hui

**Dans le bouddhisme, les relations humaines ne sont pas considérées comme accidentelles, mais comme le résultat d’une connexion inscrite dans le passé. Les relations se forment parce que deux personnes sont destinées à se rencontrer. Ainsi la princesse est heureuse d’avoir été plus intimement liée au Maître par la création d’un Lien karmique plus fort, à travers son fils.

*Le terme Bodhisattva était utilisé par Bouddha dans le canon Pali pour faire référence å lui-même dans ses vies antérieures et aussi à lui-même dans la vie présente, en tant que jeune homme n’ayant pas encore atteint I’illumination totale. Tout au long de ses discours, il reprend ses expériences en tant que jeune aspirant avec la phrase « Quand J’étais un Bodhisattva pas encore illuminé.. » Le terme se réfère donc à un être en marche vers l’illumination, ou en d’autres termes, une personne qui pratique en vue d’arriver à l’illumination totale. Dans le bouddhisme Mahayama de l’Asie orientale, un bodhisattva est un saint qui a déjà atteint un niveau élevé dans l’illumination et qui cherche à utiliser sa sagesse pour aider les êtres doués de sensations à se libérer de la souffrance